Montag, 21. Juni 2010

Judith Butler refuse le Prix du courage civil de la marche des fiertés berlinoise!

En tant que militantEs queers et trans de couleur baséEs à Berlin ainsi que leurs alliéEs, nous saluons la décision de Judith Butler de refuser le Prix du courage civil décerné par la marche des fiertés berlinoise. Nous nous réjouissons qu’une théoricienne de renom utilise sa célébrité afin de rendre hommage aux multiples critiques exercées par les queers de couleur contre le racisme, la guerre, les frontières, la violence policière et la Apartheid. Nous saluons notamment son courage à l’heure de s’indigner ouvertement contre les relations du comité d’organisation avec certaines associations homonationales. Ce discours courageux témoigne de son ouverture d’esprit ainsi que de sa prédisposition à se pencher sur le travail acharné que nous réalisons depuis des années, tant au niveau militant qu’académique, travail qui est bien trop souvent fragilisé, récupéré et instrumentalisé.
Malheureusement preuve en est de nouveau faite aujourd’hui. Car les organisations de queers de couleur, qui de l’avis de Judith Butler auraient davantage mérité ce Prix, ont jusqu’à présent été frappées d’invisibilité dans tous les articles de presse traitant du sujet. Alors que Butler a proposé haut et fort que ce Prix soit décerné à GLADT (www.gladt.de), à LesMigraS (www.lesmigras.de ), à SUSPECT ainsi qu’à ReachOut (www.reachoutberlin.de), la seule manifestation politique dont l’opinion publique se souvienne est un événement dominé par des Blancs, en l’occurence la marche des fiertés alternative également appelée „transgenialer CSD“. Au lieu de pointer du doigt le racisme, les organes de presse se contentent d’une critique facile de la récupération commerciale. Pourtant les propos de Butler ne souffrent aucune équivoque : „(…) C’est pourquoi je dois prendre mes distances par rapport à toute complicité de racisme, y compris un racisme anti-musulman.“ La philosophe nord-américaine a relevé le fait que non seulement les gays pouvaient être utiliséEs à des fins militaristes mais également les personnes bi, trans et queers“.
Lors de la remise du Prix, Butler a été présentée comme douée d’un sens critique infatigable par Renate Künast (du parti allemand Die Grünen), laquelle avait des difficultés manifestes non seulement à prononcer le nom de la lauréate mais également à formuler les aspects centraux de son oeuvre. Et c’est justement cette critique qui cinq minutes plus tard a fait perdre le sourire aux présentateurs, Jan Salloch et Ole Lehmann. Au lieu de réfléchir au discours qui venait d’être prononcé par Butler, il ne leur est ensuite rien venu d’autre à l’esprit que de rejeter en bloc les accusations de racisme et d’attaquer verbalement la cinquantaine de queers de couleur et leurs alliéEs venuEs soutenir Butler : „Vous pouvez crier autant que vous le voulez, vous n’avez pas la majorité. Ça suffit.“ Le bouquet final au relent impérialiste cadrait bien avec le décor créé en arrière-plan par la Porte de Brandebourg : „C’est parti, le programme de la gay pride continue… peu importe ce qui se passe… dans le monde ou à Berlin… on est tous dans le même bateau, c’est comme ça et ça ne changera jamais.“
En effet, ces dernières années le racisme a été le fil rouge des LGBT prides de par le monde, de Toronto à Berlin, ainsi que du paysage gay et lesbien (voir à ce sujet l’article „Monster Terrorist Fag“ des théoricienNEs queers de couleur Jasbir Puar et Amit Rai publié en 2002). En 2008 le slogan de la marche des fiertés berlinoise était : ‚Hass du was dagegen?’ (que l’on pourrait traduire en français par „T’as un pwoblème? Moi j’ai la haine !“). L’homophobie et la transphobie se retrouvaient ainsi propulsées au rang de problèmes des jeunes de couleur, qui apparemment ne parlent pas correctement l’allemand, dont l’appartenance à la „nation allemande“ est sans cesse remise en question, et qui en résumé n’ont rien à faire là. C’est également en 2008 que les discours concernant la violence et les crimes haineux ont fait leur entrée dans la politique allemande. Jusqu’à cette date, ce type de militantisme était presque inconnu en Allemagne. Pourtant sa rapide assimilation a été facilitée par le fait qu’on connaissait déjà les coupables de ces crimes homophobes : les migrants bien sûr, qui faisaient de toute façon déjà office de criminels, étaient si vite jetés en prison et pouvaient également être déportés avec une facilité croissante. Cette panique morale a acquis ses lettres de noblesse grâce à des pratiques journalistiques douteuses et s’est vu attestée par des études soi-disant scientifiques dans lesquelles chaque cas de violence touchant une personne homosexuelle, bisexuelle ou transgenre, peu importe si le coupable présumé était blanc ou de couleur, et peu importe si le mobile était d’ordre homophobe, transphobe ou une simple altercation au volant, était utilisé comme une nouvelle preuve entérinant ce que l’on savait déjà. En l’occurrence que les homos (c’est-à-dire apparemment pour la plupart des hommes blancs) sont ceux qui souffrent le plus, et tout ça à cause des „migrants homophobes“. Cette vérité jamais remise en question est, entre autre, l’oeuvre d’organisations homonationalistes (pour reprendre le concept de Puar) telles que l’Organisation gay et lesbienne allemande ou encore la ligne d’écoute Maneo, dont l’étroite collaboration avec la marche des fiertés a motivé la décision de Butler. Le travail de ces organisations a consisté notamment en des campagnes de publicité stigmatisant les migrantEs comme étant ‚archaïques‘ ,homophobes‘, ‚pétriEs de patriarcat‘, violentEs’ et ‚impossible à intégrer’. L’ironie du sort veut que l’une de ces organisations reçoive désormais des subventions publiques afin de protéger les personnes de couleur du racisme. Le „Cercle de protection arc-en-ciel contre le racisme et l’homophobie“ du quartier gay de Schöneberg a immédiatement été accueilli de la part de la mairie de quartier par un renforcement de la présence policière. En tant que militantEs anti-racistes nous savons malheureusement ce que le renforcement policier (LGBT ou non) signifie dans un lieu où vit un grand nombre de personnes de couleur – notamment à une époque de „guerre contre le terrorisme“ et de „sécurité intérieure, ordre et propreté“.
C’est exactement cette ligne politique de certains gays blancs, consistant à remplacer une politique de solidarité, de coalition et de transformations radicales par la criminalisation, la militarisation et le durcissement des frontières, qui scandalise Butler, entre autre suite aux critiques et aux messages que nous lui avions adressés. Contrairement à un grand nombre de queers blancHEs, Butler a refusé de pratiquer la politique de l’autruche. Selon nous c’est bel et bien une décision courageuse.

SUSPECT

Traduction : Céline Robinet

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